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Benoît Feron : avocat de BeeBonds, partner Deloitte Legal

cover benoit feron

Dans cet épisode, on vous présente le brillant avocat de BeeBonds Benoît Feron, partner de Deloitte Legal.

Il nous partage son expérience et sa vision de la finance alternative !

Au programme :

  • Le rôle de Benoît et la fine analyse de Deloitte Legal dans les campagnes de BeeBonds ;
  • Son analyse du crowdlending et son évolution dans les années à venir ;
  • Les coulisses de création de la note d’information, sésame précieux et garant d’une campagne sérieuse ;
  • Son riche parcours d’avocat, une vocation qui lui vient de son grand-père.

Transcript

Elisa Brevet

Pour ce nouvel épisode, nous avons le plaisir d’accueillir l’avocat de BeeBonds, Benoît Ferron.

Bonjour Benoît.

Benoît Feron

Bonjour !

Elisa

Merci d’avoir accepté notre invitation. Vous êtes avocat partners chez Deloitte Legal et on a décidé de faire deux épisodes avec vous. Deux épisodes, parce que ce qui est intéressant chez vous, eh bien, c’est qu’on pourrait dire qu’il y a deux côtés, un côté pile l’avocat: avocat associé au sein d’un grand cabinet, on vient de le dire, Deloitte Legal.

Vous avez à votre actif plus de 30 ans d’expérience dans le droit boursier, mais vous êtes également actif dans la finance alternative. Et puis un côté face le photographe. Votre travail photographique se concentre principalement sur les peuples dont vous aimez capter les regards. Vous avez fait de nombreux voyages, dont l’Afrique, que vous parcourez intensément depuis quinze ans. Mais ceci, on le verra un peu plus en détail dans un autre épisode.

Aujourd’hui, en interview, l’avocat et je voulais commencer par vous demander ce qui vous a poussé à vous lancer dans le droit. Est-ce que c’est une vocation ?

Benoît

Alors là, c’était un quart de vocation, on va dire. J’avais un grand-père qui était avocat, qui avait été bâtonnier. Il y avait une photo de lui dans son salon, en robe d’avocat et ça m’avait toujours très fort impressionné. Mais moi, je voulais être architecte et en rhéto, mes parents m’ont fait rencontrer des architectes qui m’ont dit que le métier était bouché, qu’il ne fallait pas. Donc j’ai dit à mes parents qu’il n’y avait pas de problème, que je ferai le droit et quand j’aurai fait le droit, je ferai l’architecture comme ça, vous serez content. Et puis j’ai fait le droit et je n’ai jamais fait d’architecture.

Mais bon, ceci dit, j’ai aimé mes études, donc c’était quand même quelque chose qui coulait de source pour moi.

Elisa

Et en quelques mots, comment est-ce que vous résumeriez votre parcours professionnel ?

Benoît

Ouh la la ! Ce n’est pas une question simple, mais disons que quand j’étais étudiant en droit, j’allais beaucoup au palais de justice. J’étais passionné par les procès de droit pénal. Je rêvais d’être avocat en cours d’assises. Et puis j’ai fait un stage dans un service juridique d’une grosse boîte où un juriste m’a convaincu que je devais absolument faire du droit des sociétés plutôt que du droit pénal. Et donc je l’ai écouté.

Je suis parti aux États-Unis, j’ai travaillé, j’ai été très vite intéressé par le droit pénal financier, par tout ce qui était délit d’initié, etc et je suis rentré en Belgique super intéressé par ces matières. On était nulle part, j’ai voulu monter une revue, j’ai été voir Jean-Louis Du Plaa qui était président de la Commission bancaire et en fait c’était une idée beaucoup trop préceptrice parce qu’en fait ça intéressait personne, il n’y avait pas de droit financier en Belgique à ce moment-là. Mais c’était une matière qui m’intéressait. Donc je me suis toujours intéressé à cette matière.

Donc avec un pied dans le droit des sociétés et un pied dans le droit financier, dans le droit des marchés de capitaux, c’était le début de la directive services d’investissement aussi. Et donc voilà. Et donc déjà en tant qu’étudiant, j’ai écrit un article dans le journal Tribunaux sur le tout nouvel article de mémoires 489 bis du code pénal qui était l’introduction du délit d’initié en Belgique. Mais on remonte à 1989, si je me souviens bien, donc ce n’est pas hier.

Elisa

S’il y avait trois moments marquants mémorables de votre carrière, ce serait quoi ?

Benoît

Il y en a quelques-uns mais il y a un grand moment. En fait, j’ai eu la chance de travailler sur plusieurs dossiers d’OPA et il y a un dossier qui a modifié complètement le droit financier. C’était le dossier Wagons-Lits qui a été, qui a été quelque chose de très étonnant. C’était une bagarre entre le groupe Accor et le groupe Sodexo pour prendre le contrôle de la société Wagons-Lits. Et c’était le début de la défense des minoritaires. Et Deminor venait d’être fondé.

Je me rappelle, je travaillais pour un patron à l’époque qui était le conseil des Démineurs et on a forcé la décision d’obligation de faire une OPA sur la société et c’était extraordinaire parce que tous les ténors du droit des sociétés bruxelloises. On était en référé. Le juge avait décidé de prendre cette affaire à cœur et on a fait des audiences le samedi. On a dû conclure, je me rappelle, 160 pages en 24 h. J’étais jeune avocat et on a travaillé jour et nuit. Donc ça, c’est un grand moment. 

Puis il y en a d’autres. J’étais un peu fou à l’époque et je me rappelle avoir négocié la vente d’une boîte. C’était un Français, comme beaucoup de Français installés à Bruxelles, qui vendait sa société. Je me rappelle avoir eu une réunion de négociation à Paris qui a duré 33 h de suite. On avait commencé à 9 h du matin le mercredi, on a terminé dans l’après-midi du jeudi. Ça, c’est des souvenirs mémorables. Mais heureusement, je ne suis pas prêt à revivre ça. Il faut beaucoup de temps pour s’en remettre. Ça, c’est des moments assez marquants.

Elisa

Alors justement, si on en est là avec vous, c’est pour parler aussi de BeeBonds puisque vous êtes l’avocat de BeeBonds, racontez-nous pourquoi est-ce que vous travaillez avec BeeBonds et expliquez nous ce que c’est votre vision de la finance alternative ?

Benoît

Alors pourquoi est-ce que je travaille avec BeeBonds ? D’abord parce que ça fait très longtemps que je travaille dans le domaine du droit financier et du droit des marchés. Avec beaucoup, beaucoup de dossiers pour lesquels la Commission bancaire, devenue Commission bancaire et financière, devenue FSMA, est compétente. Donc j’ai beaucoup d’expérience dans le domaine.

Et puis je connaissais les patrons de BeeBonds. C’est donc quand Joël a lancé cette initiative qu’il m’a consulté pour le dossier d’agrément. Et puis finalement, pour travailler sur les différents dossiers et pour venir directement à votre deuxième sous question.

Pour moi, c’est fondamental, le crowdfunding, parce qu’on a un énorme problème de façon générale. Mais en Belgique encore plus, c’est que la réglementation européenne en matière bancaire et financière est devenue un mastodonte avec des exigences terribles.

Tout ça après les affaires qui ont secoué l’industrie aux Etats-Unis avec la titrisation, etc. où les règles sont devenues extrêmement exigeantes. Et du coup, aujourd’hui, les banques ne prêtent plus ou ne prêtent qu’avec des conditions qui sont extrêmement compliquées à remplir. Elles ne peuvent plus prêter à concurrence de X, d’un besoin, d’une société. Et c’est même une réflexion générale. C’est au niveau du prêt, du crédit, c’est au niveau du corporate finance.

Les banques aujourd’hui ont de telles règles à respecter qu’elles ne peuvent plus prendre aucun risque et qui en fait les services aujourd’hui, se sont amenuisés comme une peau de chagrin. Et donc, il y avait pour moi une véritable place à prendre pour le financement des PME. Et parce que c’est, je répète mes mots, c’est une véritable catastrophe. Et donc le crowdfunding vient vraiment combler un trou pour ce type de société. Donc pour du crédit à court ou moyen terme, pour des montants relativement limités mais qui viennent combler l’absence de la banque sur ce créneau. Et donc le rôle du crowdfunding est fondamental à mon avis.

Entendons-nous, le crowdfunding, c’est un terme générique pour le crowd. BeeBonds est plus dans le crowdlending, mais le crowdlending, qui fait partie du crowdfunding, c’est à dire crowdfunding c’est les levées de fonds en général par le processus du crowd auprès du public. Et ça implique aussi bien du crowdlending, donc de l’emprunt pour les missions d’obligations, que les missions d’actions. Quand on parle de crowdlending, on parle plutôt de titres de dette, donc des obligations, des notes, des emprunts.

Elisa

Concrètement, qu’est-ce que vous faites pour BeeBonds ?

Benoît

Alors pour BeeBonds, on s’occupe de la partie juridique des dossiers. Donc en fait il faut savoir que quand on fait une opération, une offre publique, on essaie de récolter l’épargne publique auprès d’investisseurs particuliers en leur proposant des titres financiers comme des obligations.

Mais il y a certaines règles à respecter quand on est dans une opération extrêmement limitée de moins de 500 000 €, avec certaines règles précises, on peut le faire comme ça, avec à peu près n’importe quel document, du moment qu’il ne soit pas trompeur.

Quand on est dans une échelle entre 500 000 et 5 millions, on doit rédiger ce qu’on appelle une note d’information, qui est un document réglementaire qui doit faire maximum quinze pages avec des rubriques bien précises et qui peut être vérifié à postériori par la FSMA. Nous, en tant qu’avocats, on rédige ce genre de documents pour une société comme BeeBonds qui a des clients, des émetteurs qui veulent trouver cette épargne sur le marché et donc BeeBonds intervient comme un intermédiaire, comme facilitateur et prépare avec l’émetteur cette note d’information.  Cette partie là du travail qui est purement juridique c’est nous qui le rédigeons parce qu’on a l’habitude, parce qu’on connaît les règles.

Elisa

Mais concrètement, c’est quoi ? Comment l’utiliser ? Qu’est-ce que ça encadre ?

Benoît

Oui, et donc en fait, c’est le document officiel qui est censé informer le public sur le type d’opérations dont une société veut lever 750 000 € ou 1 million d’euros pour financer la construction d’un complexe immobilier, d’un hôtel ou de choses comme ça.

Ce document va dire voilà, on lève 1 million avec des coupures, avec des obligations qui sont des coupures de 100 €, de 200 €, de 500 €. L’opération va durer de telle date, à telle date. Voilà les comptes de la société. Voilà ce qu’elle va faire avec les fonds.

On doit expliquer que ce million va servir à acheter le terrain, à faire toutes les études de faisabilité, à construire, etc. et on doit donner une série d’informations sur l’émetteur, donc sur la société qui emprunte donc les conseils d’administration, quel est son historique etc.   

Le document va aussi définir tous les termes et conditions des obligations. Donc quel est le taux d’intérêt ? Quelle est l’échéance quand le paiement des intérêts a lieu ? Est-ce qu’on peut rembourser anticipativement ? Donc c’est vraiment le document juridique. C’est un peu le contrat qui va lier l’investisseur et la société.

C’est un document évidemment relativement technique, mais c’est vraiment très important de le lire. Le document commence par ce qu’on appelle les facteurs de risque, donc on explique tous les éléments de risque du dossier. Mais c’est un document vraiment fondamental parce qu’il est censé vraiment attirer l’attention sur les risques potentiels de l’opération.

C’est un document très important aussi parce que la société qui émet les obligations doit vraiment respecter des règles très strictes. Et si cette note d’information est mal rédigée, si elle est trompeuse, s’ils n’ont pas les infos qui sont réclamées légalement, eh bien l’émission de l’obligation peut être nulle et donc l’investisseur peut réclamer le remboursement de ses obligations.

C’est vraiment un document fondamental. Voilà, c’est ça qu’on fait plus étudier la faisabilité de tout une série de projets. Et puis parfois, on travaille sur l’émission des obligations en tant que tel parce qu’il y a des tas de conditions, de modalité en fonction des opérations. Donc c’est souvent assez créatif et technique.

Elisa

Quelle est votre vision du crowdlending dans les années futures ?

Benoît

Mais ça rejoint un peu la réponse que j’ai déjà donnée. Pour moi, c’est fondamental parce que l’économie en a absolument besoin. Donc, l’économie et les banques ne remplissent plus leur rôle complètement. Et je ne les condamne pas parce que ce n’est pas forcément de leur faute. C’est une réglementation qui est devenue d’une lourdeur absolue. Et donc, il y a vraiment ce trou à combler.

Ce qui est très important, c’est qu’il faut des acteurs sérieux parce que le problème, c’est qu’aujourd’hui une société peut faire du crowdlending sans faire appel à une plateforme. Elle peut le faire par elle-même, mais du coup, on trouve des notes d’information où on raconte tout et n’importe quoi et c’est dangereux parce qu’il ne faut pas tromper les gens. Et sinon, ça peut être une économie catastrophique. Donc il faut vraiment que ça continue à être réglementé par des règles précises et que ça soit fait par des professionnels qui savent ce qu’ils font.

Maintenant, une autre évolution, c’est qu’aujourd’hui on a une réglementation nationale. Mais il y a un règlement européen qui vient d’entrer en application, qui va déboucher sur une nouvelle loi belge. Et donc les règles vont être un peu uniformisées au niveau européen. Ce qui veut dire que les acteurs du crowdlending vont pouvoir passer les frontières avec un passeport européen, ce qui est intéressant en soi.

Mais ce qui veut dire aussi, c’est que les règles vont devenir beaucoup plus lourdes, beaucoup plus exigeantes. Et donc, de nouveau, un peu à l’instar de la réglementation bancaire, on risque de laisser la place uniquement à des gros acteurs parce que des plus petits acteurs ne pourront pas et ne seront pas assez solides financièrement pour remplir toutes ces obligations.

Donc de nouveau attention, parce qu’il n’y a pas que les gros acteurs comme en banque, il n’y a pas que quatre banques pour faire du crédit ou pour accompagner une société dans une levée de fonds. Or, c’est un peu la vision du législateur européen et de nos autorités, la Banque Nationale, la FSMA, etc aujourd’hui.

Elisa

Alors vous avez dit que les banques ne prennent pas de risques ? Est-ce que les investisseurs de crowdlending prennent des risques ? Quel type de risque ? Si on compare ça à un investissement boursier, est-ce que vous pouvez expliquer la différence ?

Benoît

Ce n’est pas vrai que les banques ne prennent pas de risques, mais ce qu’il y a c’est que les banques sont soumises à des réglementations extrêmement pointues avec des ratios de solvabilité, des ratios en tous genres et donc ça devient très très mathématique et en plus elles n’ont pas le droit, par exemple dans un projet immobilier de telle taille, de prêter plus que 50, 60, 70 % du montant nécessaire, des choses comme ça. C’est pour ça que le crowdlending vient combler un trou.

Alors en matière de risque, oui, bien sûr, un investisseur crowdlending prend des risques, mais ce n’est pas du tout les mêmes risques. Ce sont des risques moins importants que les risques d’un investissement boursier par exemple. En gros, quand vous achetez une action en Bourse, vous n’êtes pas créancier comme on l’est quand on prête, c’est-à-dire que l’action va suivre le cours de la société. Si la société fait des bénéfices et se développe, des gens vont acheter des actions, le cours va monter et vous allez avoir une plus value potentielle.

Si la société va mal ou si elle va bien mais que personne ne s’intéresse à l’action, on ne va pas l’acheter et donc le cours de cette action va descendre. Et donc, vous pouvez acheter une action à 10 €. Et puis peut-être qu’on en voudra 25 trois ans plus tard. Et puis voilà, le jour, vous voulez la revendre ? Ça vaut 2 €. Donc vous êtes tout à fait lié à l’évolution de la bonne santé ou pas des bénéfices du développement de la société.

Donc c’est vraiment vous êtes actionnaire quand vous êtes investisseur en crowdlending, vous êtes prêteur, c’est tout à fait différent. Si la société en fait on définit au départ, vous vous achetez une obligation, donc vous prêtez 1 000 €, 2 000 € ou plus à la société. Vous avez droit à un rendement de 6 % par an. Donc tous les ans, la société va vous payer 6% et trois ans plus tard ou quatre ans plus tard. En fonction de ce qui est défini, elle va vous rembourser, donc vous aurez touché X% de votre investissement.

Si la société cartonne entre-temps, qu’elle fait fois dix, vous ne verrez pas la différence parce que vous toucherez les 6%. Par contre, si la société ne fonctionne pas bien, n’a pas de bénéfice intéressant, ne s’est pas développée comme prévu. Mais vous toucherez toujours vos 6% parce qu’en fait il y a un contrat très précis qui dit exactement ce que vous allez toucher en tant qu’intérêt et la somme que vous allez recevoir à la fin. Donc ce n’est pas du tout la même chose.

Le seul risque que vous avez vraiment, c’est le risque d’insolvabilité. Si la société se casse la figure, donc, si elle tombe en faillite parce qu’elle n’a pas su réaliser ses projets. Donc ça, c’est le risque de l’investisseur crowdlending prêteur, mais qui est évidemment beaucoup plus limité que le risque d’un investisseur boursier qui, lui, est tout à fait soumis aux aléas de la conjoncture et de l’évolution. Après, il faut bien choisir ses dossiers et c’est pour ça que les plateformes sont importantes.

Elles font une sélection et elles essayent de prendre des bons dossiers. Après, ça dépend beaucoup de la bonne foi de l’émetteur évidemment, qui vous donne la bonne information, qui ne vous cache pas certaines informations. Mais il y a toujours un risque dans. Dans l’histoire du crédit, il y a toujours eu des dossiers qui ont mal tourné et la plupart des dossiers ont très bien tourné. Donc voilà, je ne sais pas si je suis clair, mais voilà la différence.

Elisa

Très bien. Eh bien c’est la fin de cet épisode. Merci Benoît. Merci d’avoir pris le temps de nous recevoir et d’avoir répondu à nos questions.

Benoît

Mais merci. En tout cas, c’était très sympa